Re-imaginer les liens culturels et économiques entre la France et l'Inde.

Découvrez l'interview de Coumar ANANDA, entrepreneur franco-indien et fondateur de plusieurs initiatives visant à renforcer les relations entre la France et l'Inde. Après une carrière dans le secteur bancaire et informatique en France, Coumar a décidé de renouer avec l'Inde pour poursuivre ses passions et contribuer au développement des liens culturels et commerciaux entre les deux pays.

Co-founder of India Advisory Paris, Founder of Textile MuseumLab, Founder of French TechAcademy India.
UJA: - Après avoir connu une carrière en France, pourquoi avez-vous choisi, il y a un an, de renouer professionnellement avec l'Inde ?

Coumar ANANDA: Ce projet de renouer avec l’Inde mûrissait en moi depuis plusieurs années. Lorsque je suis arrivé en France, mon intention était de poursuivre des études en histoire de l’art, mais mon entourage m’a fortement dissuadé, craignant que je ne trouve pas d’issue professionnelle. Je me suis donc orienté vers des études dans la finance. J’ai ainsi débuté ma carrière dans les métiers de la  banque, dans une logique d’employabilité et de salariat, mais éloigné de mes passions premières.

Ma première tentative de renouer avec l’Inde remonte à 2008, lorsque les entreprises françaises se sont à nouveau intéressées à ce pays après la crise. Cependant, je n’étais pas prêt à ce moment-là, et ce fut un échec riche d’enseignements qui m’a profondément transformé.

Par la suite, au cours de ces dix dernières années, j’ai redécouvert l’univers indien à travers les grandes sociétés indiennes de l’informatique pour lesquelles j’ai travaillé en France. Cela m’a permis de mieux appréhender les enjeux culturels, économiques et politiques du marché indien, ainsi que ses liens avec le marché français. J’ai notamment beaucoup appris sur l’intelligence des relations humaines et la prise de risque nécessaire pour lancer des projets ambitieux, sans trop s’encombrer de débats sur les business plans hypothétiques, la planification ou la gestion des risques théoriques. Des discours des géants de l’industrie indienne qui résonnent encore en moi « de-focus », « aim for unreasonable targets », « train your brain to see the opportunities ahead of the market»,…

Ainsi, au cours de ces dix dernières années, j’ai mûri et nourri à nouveau ce projet, et aujourd’hui je me lance activement à la conquête, non pas tant du marché indien, mais plutôt à la conquête de mes passions dans la création de la valeur entre la France et l’Inde dans les domaines des métiers d’arts, de l’éducation et dans les nouvelles technologiques.

J’ai entrepris plusieurs projets dans les domaines de l’éducation, la culture et le conseil, avec cette conviction profonde que nous ne sommes pas destinés à exercer une seule activité et à nous spécialiser dans un domaine précis, mais plutôt à nous nourrir d’expériences aussi diverses que possible, tout en étant conscients des réalités économiques et de la pression psychologiques qui pèsent sur les entrepreneurs. Nous avons tous des passions, mais il est également nécessaire de financer son quotidien et sa propre transition vers un nouveau modèle de travail et d’épanouissement, c’est ce coût qui souvent est un frein à la plupart des salariés qui rêvent d’entreprenariat. Le monde du salariat nous pousse à nous concentrer sur un seul aspect de nous-même pour la performance de l’entreprise. Cependant, nul ne naît pour passer toute une vie à maîtriser un seul métier, un seul outil ou un seul processus… Nous avons tous la capacité d’apprendre plusieurs langues, d’exercer plusieurs métiers et de vivre de nos passions.

C’est dans cette perspective que j’ai acquis, en travaillant au sein de grands groupes indiens, une compréhension essentielle de l’importance de générer des projets dans des environnements complexes et parallèles, caractérisés par des cycles de vie distincts, à court, moyen et long terme. Puis de l’art de s’entourer des meilleurs experts passionnés pour vivre de nouvelles expériences avant de construire de nouvelles entreprises. Ainsi,  les projets à court terme, avec des cycles de vie de 3 à 6 mois, jouent un rôle essentiel dans le financement de projets à plus long terme, qui ont un impact plus étendu. C’est une démarche que nous pouvons réaliser collectivement, en mobilisant notre réseau, nos amis et notre famille, tant en France qu’en Inde.

Aujourd’hui, ma principale motivation est de contribuer, à travers mes projets, au renforcement des relations culturelles et économiques entre la France et l’Inde.

Dans ce contexte, j'ai lancé deux projets en Inde et un troisième en France :

Notre premier projet éducatif consiste en la création de la French TechAcademy Junior, dont l’objectif est de donner aux jeunes enfants, à partir de 7 ans, l’opportunité de se former non seulement aux nouvelles technologies, mais également à la langue française, offrant ainsi un avantage supplémentaire par rapport à la diversité linguistique déjà présente en Inde. Depuis mars 2023, ce projet est en phase pilote en collaboration avec le Lycée français International de Pondichéry, qui nous a ouvert ses portes. Notre ambition est de déployer, par la suite, La French TechAcademy Junior dans les villes indiennes telles que Bangalore, Chennai, Mumbai, Pune, Delhi et Calcutta.

En plus de la French TechAcademy Junior, nous avons développé la French TechAcademy Expert, destinée aux entreprises indiennes et françaises qui souhaitent constituer un vivier de talents bilingues formés aux nouvelles technologies en Inde. Ces talents seront ainsi en mesure de travailler en français sur les domaines des nouvelles technologies. Pour ce deuxième projet, nous avons établi un partenariat avec OpenClass Room en France pour la certification et la formation diplômante dans le domaine des nouvelles technologies, ainsi qu’avec des institutions en Inde, telles que l’Alliance Française et d’autres instituts privés, pour l’enseignement de la langue française. Cette formation s’adresse également aux entreprises françaises et indiennes désireuses de former leurs collaborateurs à la fois en langue française et aux nouvelles technologies. Ce nouveau type de talent est recherché et inexistant à ce jour en Inde.

Au-delà de la langue, l’enseignement de la culture et du savoir-être culturel français revêt une importance cruciale en termes d’employabilité et de compétitivité économique.

Mon deuxième projet, intitulé Textile MuseumLab, concerne la sphère culturelle. Il s’agit là de mon projet à long terme. Je renoue donc avec ma passion pour la culture, l’art, l’archéologie et l’Histoire, avec comme motivation la préservation, la valorisation, la sublimation et la transmission aux  générations à venir. C’est en France que j’ai pris conscience de l’importance de la transmission culturelle, car ce pays maîtrise admirablement la préservation et la transmission de son patrimoine culturel.

L’idée du Textile MuseumLab est née lors de ma visite des anciennes filatures à Pondichéry, datant du XIXe siècle. Ces filatures furent initialement établies par des entrepreneurs bordelais et normands dans le but de fournir le marché africain. Elles étaient spécialisées dans la fabrication et l’impression de textiles en coton, connus sous le nom de “Guinées de Pondichéry”, exportés vers l’Afrique (Côte d’Ivoire, Sénégal, etc.).

Après l’indépendance de l’Inde, ces filatures ont cessé leurs activités en raison d’une compétitivité insuffisante, mais le site a été préservé. Celui-ci abrite un patrimoine architectural remarquable, ainsi qu’une forêt urbaine exceptionnelle s’étendant sur plusieurs hectares. Les constructions en briques, semblables à celles que l’on trouve dans le nord de la France, furent réalisées par des constructeurs français de l’époque. Des machines à vapeur importées d’Angleterre subsistent encore sur place.

Ces filatures employaient des dizaines de milliers d’ouvriers de Pondichéry et constituaient l’activité économique principale de la ville, rassemblant ouvriers, ingénieurs et gestionnaires. Ceux qui ont travaillé dans ces usines conservent encore le souvenir de l’usine et des lieux. Mon grand-père était responsable des finances au sein de cette usine au début du siècle dernier.

Ainsi, au-delà de la rénovation architecturale visant à créer un lieu culturel, notre projet porte également l’ambition de préserver la mémoire d’une ville et des milliers de familles qui ont prospéré grâce à cette usine. Aujourd’hui, cet endroit est en quelque sorte tombé dans l’oubli. 

UJA : - Comment envisagez-vous de financer ce projet ?

Coumar Ananda : – Notre projet consiste à créer un tiers-lieu comprenant un musée, une école de design et un laboratoire mettant l’accent sur les savoir-faire ancestraux du textile en Inde, qui étaient autrefois respectueux de l’environnement et des procédés de fabrication durables. L’objectif est de révéler à nouveau ce patrimoine vivant et de l’enseigner, en le transmettant aux générations futures.

Dans ce contexte, nous avons constitué une équipe et créé la fondation “Pondicherry City & MuseumLab Foundation” en collaboration avec plusieurs acteurs clés du projet : des architectes, des cabinets de conseil, des maisons de mode, la Ville de Pondichéry, l’INTACH (Indian National Trust for Art and Cultural Heritage) et l’Agence France-Muséums. Les membres fondateurs de la fondation, à savoir Rashmi Naik, Caroline Nachtwey, Dev Gupta, Segiane-Sylvain Paquiry, Matthieu Lebeurre, Ganesh Karunamurthy, Naushad Ali et moi-même, sont impliqués dans l’ensemble des travaux du projet.

La vocation première de cette fondation est de réaliser une étude de faisabilité. Pour financer cette étude, nous solliciterons des fonds de type CSR (Corporate Social Responsibility) auprès d’entreprises et de fondations en Inde, afin de démontrer la viabilité économique et culturelle de ce projet pour la ville de Pondichéry, et plus largement,  pour l’Inde.

Enfin, nous arrivons au projet qui permet de vivre et de financer ces rêves !

J’ai co-fondé India Advisory Paris avec Jérémy Sabbagh, qui vise à mobiliser nos compétences complémentaires et à accompagner nos clients dans leurs projets d’acquisition et de levée de fonds.

Jérémy, un ancien de Sciences Po Paris et avocat de formation a construit en Inde l’impossible ; un petit empire dans la restauration bio et responsable, il apporte un savoir-faire précieux à nos clients en termes de mise en œuvres opérationnelles des stratégies business et de mobilisation d’un réseau d’affaires puisant en Inde.

De mon côté, ayant eu des responsabilités très diverses pour des entreprises françaises et indiennes en France au cours des 25 dernières années, allant de trésorier dans la banque au responsable de business unit commerciale pour des sociétés des entreprises de services numériques, j’apporte à notre projet une expertise bancaire, commerciale et un écosystème humain que nous mettons au service de nos clients.

UJA : Qui sont vos clients ?

Coumar Ananda : –  Ces clients sont des start-up françaises ou indiennes qui cherchent à effectuer des acquisitions et à lever des fonds en France ou en Inde pour financer leur croissance. La plupart d’entre eux évoluent dans les domaines des nouvelles technologies.

Actuellement, nous accompagnons une entreprise spécialisée dans la réalité virtuelle, une autre dans l’intelligence artificielle et une troisième dans les services aux entreprises liés à la mobilité internationale.

UJA : Un dernier mot sur votre vision ?

Coumar Ananda : –J’aimerais transmettre un message à ceux qui souhaitent se lancer dans l’entrepreneuriat en Inde et qui ont encore des doutes et des questionnements.

Votre ambition ne doit pas être limitée par vos ressources économiques ou votre environnement social. Si vous êtes convaincu de ce que vous souhaitez réaliser pour vous et pour votre famille et si vous avez la profonde conviction que l’Inde est faite pour vous, vous pouvez accomplir des choses inimaginables et irréalisables en France.

Tout peut aller très vite en Inde si vous êtes ouvert à relever de nouveaux défis et à vous réaliser de manière différente. Les français qui réussissent en Inde sont ceux qui ont la passion pour le pays, son peuple et sa culture d’abord. Idem pour les indiens qui veulent réussir en France.

For more information on this portrait or on UJA contact olivia@uja.in

Download PDF

Bonjour, avez-vous des questions ?