Harmonie dans le patrimoine : Conversation avec Segiyane-Sylvain Paquiry sur la Villa Shanti et la tapisserie franco-indienne.

Explorez la riche fusion des saveurs et des cultures grâce à un entretien avec Segiyane-Sylvain Paquiry, le visionnaire à l'origine de la Villa Shanti à Pondichéry, qui nous offre une perspective unique sur les relations franco-indiennes à travers le prisme de cet établissement de renom.

Segiyane-Sylvain Paquiry

Entrepreneur dans les hôtels et restaurants régénérateurs -Conseiller du Commerce Extérieur de la France en Inde -Vice-Président des Alumni Lycée Français de Pondichéry

UJA : Quelle est votre histoire avec l’Inde et comment avez-vous choisi de développer vos projets à Pondichéry ?

Segiyane-Sylvain Paquiry: J’appartiens à la communauté franco-pondichérienne.

Mes grands-parents étaient français car nés à Pondichéry à l’époque où Pondichéry était une colonie française.

Dans ces années de nombreux français de Pondichéry avaient la possibilité de travailler dans l’administration en France et dans toutes les colonies françaises.

Beaucoup travaillaient au sein du ministère des armées puis revenaient à Pondichéry une fois retraité. C’est ce que mon grand-père et mon père ont fait.

Mon père part en France à 18 ans pour intégrer l’armée de l’air, revient à Pondichéry le temps de se marier puis repart en France où je suis né comme mon frère et mes deux sœurs.

A 45 ans mon père revient à Pondichéry et j’entre en 6ème au Lycée Français de Pondichéry devenu maintenant le Lycée française international de Pondichéry. J’y passe mon Bac.
Se pose alors la question de mon orientation.

En regardant le catalogue de l’ONISEP je choisis une formation de BTS Commerce International. Je n’y trouve aucun intérêt et à la fin de la 2ème année à la recherche de challenge et aimant voyager, je m’engage pour faire mon service militaire en Polynésie pour deux ans.

A la fin de mon service le ministère de la défense en Polynésie me propose de rester et de travailler en tant que civil au sein du ministère avec à la clé un bon salaire et un métier très intéressant.

Cependant, mon service militaire terminé je réalise que plutôt que de travailler dans l’import -export et aimant voyager travailler dans le tourisme me correspondrait très bien.

De plus mes parents étant en Inde je décide que depuis la France les retrouver serait plus facile que de voyager depuis Polynésie.

Je rentre donc en France pour faire des études dans le tourisme.

Je choisis de suivre mes études sous forme d’alternance et je suis recruté par un tour opérateur chinois «China Travel Service». Je découvre les exigences d’une entreprise commerciale. Je suis dans la division «outbound» donc je prépare les circuits en Chine et j’accompagne les clients en Chine.

Mon objectif était ensuite de rejoindre un tour opérateur français spécialisé sur l’Inde et je postule auprès de l’agence « Le Monde de l’Inde » dirigée par Brigitte Beretta et Michaël de Coulange.

Je suis chargé cette fois de créer les itinéraires et de les vendre aux touristes français et je développe en plus de l’Inde, la Chine, le Laos, la Birmanie et le Cambodge, l’Iran, le Népal, l’Ouzbekistan. Je propose aux actionnaires d’investir avec moi en Inde avec l’idée de développer un projet d’hébergement et de restauration à Pondichéry car si le tourisme dans les années 90 est en plein boom, il manque des hébergements pour les touristes.

 En 2006,avec les actionnaires de l’agence, nous identifions la région du Shekhawati

(Rajastan) pour restaurer une ancienne haveli mais le fossé culturel et social me décourage et me persuade que c’est à Pondichéry qu’il faut le faire.

J’identifie par chance une guest-house disponible la location et signe un bail pour une durée de 25 ans et nous lançons avec mes associés le projet «Villa Shanti ».

Donc l’aventure entrepreneuriale commence. Je créé une société et je rencontre les architectes parisiens Yves Lesprit et Tina Trigala qui ont rénové le cinéma des cinéastes à Clichy en conservant l’esprit d’origine et construit des hôtels en Afrique et en Grèce.

Leur approche de la «ré utilisation du patrimoine» m’a tout de suite convaincu.

UJA : Pouvez-vous nous expliquer ce concept de «réutilisation du patrimoine local» dont vous êtes un fervent défenseur et comment vous l’avez appliqué à vos différents projets?

Segiyane-Sylvain Paquiry: C’est grâce à Yves Lesprit et à Tina Trigala que je découvre ce concept.

Appliqué à la construction, la réutilisation du patrimoine consiste à changer la destination d’un bâtiment tout en gardant son esprit d’origine. Cela permet donc de conserver le patrimoine historique. Ainsi il est possible d’éviter la spirale des démolitions qui souvent laissent la place à une architecture indéfinissable voire à une mauvaise interprétation de l’architecture ancienne.

D’une maison domestique la Villa Shanti devient un hôtel de 15 chambres avec un restaurant tout en conservant et en modernisant l’architecture et la décoration d’origine.

Après la Villa Shanti, un ami propriétaire de l’ancienne résidence des proviseurs du Lycée Français impressionné par les travaux de transformation de la Villa Shanti me propose d’imaginer un concept pour cette vieille maison de la fin du 19ème siècle. Ainsi nait «La Villa», un hôtel de 6 suites avec un restaurant et une piscine.

Je signe un bail de 22 ans et je travaille à nouveau avec Yves Lesprit et Tina Trigala pour décorer La Villa en veillant à conserver l’esprit du patrimoine.

La Villa » et élu meilleur nouvel hôtel en 2015 par le magazine Travel & Leisure. Nous avons ensuite développé «The Spot » que l’Alliance Française de Pondichéry nous a demandé d’imaginer. Je reviendrai ensuite sur le concept du «Spot ».

En 2017 pour mettre en avant la gastronomie française je fais venir le Chef français étoilé Michel Christmann.

Ensemble nous appliquons le concept de réutilisation du patrimoine culinaire local. . Plutôt que du Saumon d’Ecosse nous servons des poissons locaux ou utilisons par exemple le millet (moins gourmand en eau) pour notre crème «anglaise» ou pour remplacer le riz.

De plus nous participons à une initiative local (Local Food System) pour tout l’approvisionnement des produits alimentaires que nous utilisons en cuisine et essayons d’aller vers le 0 déchets.

Avec un flux de clients grandissant tant les restaurants deviennent populaire, chacun dans leur style, nous investissons dans une cuisine centrale à l’extérieur des Villas.

Nous rachetons les anciens ateliers de broderie « l’Atelier au fil d’Indra » créé en 1971 par deux femmes, Nicole Durieux et Marie-Josée Carlié.

Toujours pour conserver le patrimoine local, en découvrant cet atelier j’ai demandé au président de l’association, François Casimir de nous aider à relancer l’atelier et d’y faire revenir quelques brodeuses. Après les deux années difficiles liées à la pandémie, le projet a été arrêté mais nous espérons pouvoir le faire prochainement.

Pour l’instant, le bâtiment abrite donc une cuisine centrale qui nous permet de centraliser les livraisons des produits utilisés dans les deux restaurants.

UJA : En 2018 vous gagnez un appel d’offre lancé par l’Alliance française de Pondichéry. Pouvez-vous nous présenter ce projet ?

Segiyane-Sylvain Paquiry: La maison Colombani, annexe de l’Alliance française, est un instrument de la coopération culturelle franco-indienne. C’est en 1987 que la famille Colombani fit don à l’Alliance française de ce bâtiment. Après plusieurs tentatives infructueuses pour imaginer un projet culturel et créer une résidence d’artistes, le directeur Gérard Greverand décide de lancer un appel d’offre et de louer le bâtiment à un opérateur reconnu. Nous remportons l’appel d’offre de la maison Colombani et créons « The Spot» un espace multi fonction ou l’on peut boire une verre ou un café, déjeuner ou dîner, écouter un concert, profiter d’une salle de réunion, regarder une exposition, ou soutenir les artisans locaux en achetant des créations uniques dans la boutique d’artisanat contemporains.

UJA: Sur la base de votre expérience quels sont les points les plus remarquables du marché indien et les points de vigilance ?

Segiyane-Sylvain Paquiry: On trouve en Inde tout à la fois une grande énergie vitale, une matrice positivement déstabilisante, une routine inexistante, un sens à la vie.  

Il faut être patient et croire au temps long. Il faut également être attentif à l’évolution des législations car le pays se structure. Il est souvent difficile de suivre l’évolution des lois et facile de se laisser happer par les priorités quotidiennes. Les lois n’arrivent pas tout de suite à notre niveau et peuvent être contradictoires. Il faut donc se tenir informé et être conseillé pour respecter la réglementation. Il ne faut pas tomber dans la facilité de la bidouille en faisant appel à des intermédiaires d’un autre temps mais plutôt considérer qu’il vaut mieux s’entourer de spécialistes compétents pour accompagner un entrepreneur qui n’a ni le temps de suivre l’évolution des lois ni la patience de pratiquer l’administration locale.

UJA : Avez-vous des suggestions de domaines d'excellence français qui se développeraient bien sur le marché indien.

Segiyane-Sylvain Paquiry: En dehors des grands domaines d’excellence industrielle ou la France excelle, comme l’aéronautique ou l’armement, je peux dire qu’à Pondichéry, la France jouit d’une excellente image. Les valeurs, L’éducation, l’art de vivre à la française, l’architecture, le design, la littérature et bien sûr la gastronomie sont très appréciés. En dehors du lycée français de Pondichéry, il y a encore une dizaine d’écoles Indienne à programme français. Il y a l’Ashram de Sri Aurobindo très attaché à la France ainsi que la cité internationale d’Auroville aussi fortement influencée par la vision d’une française , Mira Alfassa.

L’image de la France est excellente en particulier au sein de la classe moyenne supérieure et il faut qu’elle travaille sur une innovation frugale ou «jugaad » en hindi pour s’adresser à toutes les classes (notamment dans l’urbanisme et l’architecture).

Les touristes Indiens viennent à Pondichéry pour trouver un peu de France.

UJA : Pouvez-vous présenter en quelques mots le Lycée Français ?

Segiyane-Sylvain Paquiry: Je suis président de l’association des Alumni du lycée français international de Pondichéry et je dirais, en lien à ce que j’ai dit plus haut, que c’est un vrai livre ouvert vers la France, un témoin de l’ascenseur social, le ciment de toute une communauté de français ou de francophones, unis autour des valeurs universelles et l’humanisme. Avant de former des salariés, ce lycée forme des hommes et des femmes respectueux de valeurs profondes, dotés d’une sensibilité pour comprendre les défis d’un monde multiculturelle.

Fondé en 1826, il constitue un vrai pont capable de faire la synthèse entre l’Inde et la France, l’orient et l’occident, ce qui constitue un vrai atout pour les jeunes indiens. 

Alors j’appelle les universités et écoles françaises à s’installer à Pondichéry et dans toute l’Inde et bien sur les entreprises françaises à y investir. La qualité de la vie y est bien meilleur que dans n’importe quelle mégalopole et son côté cosmopolite représente un atout de taille.

Souhaitons que la demande de classer Pondichéry au patrimoine de l’UNESCO soit acceptée prochainement !

THE SPOT by Villa Shanti, Pondicherry

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